Rachel Keke candidate de la Nupes, Paris, le 18 mai 2022 © JOEL SAGET
Elections législatives : Rachel Keke, la femme de chambre en route pour l’Assemblée nationale
Rachel Keke la femme de ménage, figure de la grève historique contre le groupe Accor, se présente aux élections législatives dans le Val-de-Marne, sous l’étiquette de la Nupes. Si elle est élue, elle serait la première femme ouvrière migrante, à l’Assemblée nationale.
On les appelle les travailleurs précaires, les premiers de cordée ou de corvée, et parfois selon François Hollande ancien président de la République, les « sans-dents », ou pour Emmanuel Macron, « ceux qui ne sont rien ». C’est pourtant sur cette invisibilité sociale que le mouvement des « gilets jaunes » a permis de lever le voile.
Faire entendre les voix de ceux et celles que l’on n’entend jamais
Séance publique à l’Assemblée nationale © Assemblée nationale
Selon l’Observatoire des inégalités, l’Assemblée nationale ne compte quasiment plus de représentants des milieux populaires. Le renouvellement politique de juin 2017 à l’Assemblée nationale a entraîné certes une forte augmentation de la part de femmes parmi les élus, mais il ne s’est pas accompagné d’un renouvellement social. Si 4,6 % des députés sont employés, aucun n’est ouvrier, alors que ces catégories représentent la moitié de la population active, selon l’Institut Diderot. Le profil type du député : homme blanc, de plus de 50 ans et issu des classes sociales supérieures, laisse hors de toute représentation des pans importants de la population. Éric Keslassy, statistiques à l’appui, montre toute la gravité de ce déficit représentatif : manque de représentation des jeunes, des femmes, de la pluralité visible, des classes populaires et des salariés du privé. Rachel Keke la candidate de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes dans la 7ème circonscription du Val-de-Marne), si elle est élue, serait la première femme ouvrière issue de l’immigration, à entrer au Palais Bourbon.
Née en 1974 en Côte d’Ivoire, Rachel Keke qui a perdu sa mère à l’âge de 12 ans, arrive en France à 26 ans après le coup d’Etat de 1999. Elle enchaîne les boulots de coiffeuse, caissière, aide à domicile pour personnes âgées, puis femme de chambre. Sans relâche pendant quinze ans, elle nettoie jusqu’à 40 chambres par jour, avant de devenir gouvernante et inspecte désormais jusqu’à 100 chambres quotidiennement, selon le site de France Info qui l’a suivi en campagne. Des conditions de travail quasiment réservées aux femmes et qui ont des effets sur sa santé, selon elle il « détruit le corps » engendrant « syndrome du canal carpien, tendinites et maux de dos ». Des conditions qui l’avaient conduite à se mettre en arrêt maladie en 2017, et qui donne à réfléchir sur les réalités de cette « France qui se lève tôt ». Il est bien difficile, quand on vient d’un milieu populaire, nous dit l’Observatoire des inégalités, d’accéder à l’Assemblée nationale. Car pour être candidat, il faut appartenir aux réseaux du pouvoir et tisser des liens qui dépassent la sphère politique (amis, relations de travail, etc.), savoir et oser s’exprimer en public. Il faut également pouvoir consacrer de longues heures à la politique au-delà de son temps de travail pour s’investir dans les réunions où les enjeux de pouvoir se décident. Quand on n’appartient pas à cette classe socio-économique, on ne peut pas comprendre ce que vivent les classes populaires, les réalités très dures et voter des lois en leur faveur comme le maintien de la retraite à 60 ans pour cette catégorie de travailleurs.
L’expérience de Florence Aubenas
La journaliste Florence Aubenas le 24 mars 2021 © LP/Olivier Corsan
Dans Le quai de Ouistreham, Florence Aubenas, journaliste au Nouvel Observateur, relatait déjà les conditions de vie des milieux populaires avec son immersion volontaire dans la précarité sociale. Reporter en Afghanistan, au Rwanda et en Irak où elle fut otage, la journaliste avait voulu se fondre dans le monde marginal mais bien réel des travailleurs précaires. Se faisant passer pour une femme abandonnée, la journaliste s’installe dans un étroit appartement de la ville de Caen, s’inscrit à Pôle Emploi et accepte n’importe quel travail sous-payé ne nécessitant pas de qualifications. Un témoignage glaçant, lucide mais nécessaire sur les travailleurs pauvres, entre exploitation à la limite de l’esclavagisme moderne, humiliation, petits contrats précaires, galères diverses et salaire de misère. Une autre journaliste Barbara Ehrenreich dans son ouvrage L’Amérique pauvre décrit elle aussi l’Amérique d’en bas. Suite à un pari avec un ami, elle part chercher du travail sans qualification, en conservant seulement sa voiture et mille dollars. Florence Aubenas avec son expérience témoigne de toute la complexité de Pôle Emploi et de la misère des petits boulots auxquels sont confrontés des milliers de Français chaque jour. La journaliste va découvrir les emplois précaires, à des heures matinales ou tardives, sans jamais se plaindre, toujours entourée d’autres personnes comme elle, qui court toute la journée pour quelques heures de travail. Des tableaux que décrit l’univers de Zola, Dickens ou Jack London au siècle dernier.
Avec son élection Rachel Keke pourrait faire entendre les voix de ceux que l’on n’entend jamais, celle des travailleurs et travailleuses issus de l’immigration, exploités provenant de l’UE ou de pays tiers, souvent invisibles, décrite dans l’enquête de la FRA l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne.
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