La censure préalable contre le site Mediapart inquiète l’ensemble de la profession © Mediapart
Censure contre Mediapart : la liberté de la presse en grand danger
Depuis la décision de justice inédite qui frappe le site Mediapart, plusieurs syndicats de journalistes, des ONG, des élus, des avocats ont apporté leur soutien au média d’investigation, qui a riposté vendredi 25 novembre pour faire casser cette interdiction. Verdict attendu le 30 novembre.
Le principe selon lequel on ne fait pas de Minority Report avec le droit est tombé. Du jamais vu, inacceptable dans une démocratie. Après la décision de censure préalable contre les informations sur les pratiques du maire de Saint-Étienne Gaël Perdriau, tollé général dans la presse aussi bien chez des élus, notamment de la Nupes. Plus d’une trentaine de sociétés de journalistes, des avocats et des ONG dénoncent une mesure liberticide incompréhensible. Cette nouvelle censure arrive dans un contexte de plus en plus inquiétant pour la liberté de la presse, et seulement quelques semaines après la décision de justice obtenue par le milliardaire Patrick Drahi et son groupe Altice contre Reflets Info. Au nom du secret des affaires, il a été décidé par le tribunal de commerce de Nanterre d’une censure préalable de toute information susceptible d’être publiée sur cette entreprise indique le site d’investigation.
Une attaque sans précédent à la liberté de la presse
Bibliothèque nationale de France © Source gallica.bnf.fr /
Minority Report l’excellent film de Steven Spielberg sorti en 2002, bien qu’étant une fiction, a été un garde-fou pour de nombreux juristes et praticiens du droit. Adaptation de la nouvelle Rapport minoritaire de Philip K. Dick publiée en 1956, l’histoire se déroule dans une société où les meurtres peuvent être prédits grâce à des mutants doués de précognition : les « précogs ». L’ordonnance ou plutôt le Rapport minoritaire rendue en urgence initiée par le maire Gaël Perdriau, qui savait que Mediapart allait publier un nouvel article le concernant, ajoute au scandale politique qui secoue la ville de Saint-Etienne depuis la fin de l’été 2022. Pour rappel, Mediapart relate dans une enquête intitulée « Sexe, chantage et vidéo : l’odieux complot », comment ce dernier a été savamment orchestré par l’équipe du maire, un chantage à la sextape qui vise le premier adjoint au maire, Gilles Artigues, un père de famille, très investi dans la communauté catholique, qui a été filmé à son insu dans une chambre d’hôtel en compagnie d’un escort boy. Une vidéo utilisée contre lui pendant huit années. L’enquête met aussi en avant un sujet sur Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui démontre comment Gaël Perdriau utilise la rumeur comme arme politique. Chose incompréhensible avant même parution, et sans possibilité de contradictoire, la justice a donné raison à l’édile pour atteinte à la vie privée, et a interdit la parution de l’article, sous peine de 10.000 euros d’amende par extrait publié. « Mediapart n’était pas informé de cette procédure et l’ordonnance a été prise par un juge sans que notre journal n’ait pu défendre son travail et ses droits » déclare le média d’investigation. Depuis la loi du 29 juillet 1881 qui a instauré en France le droit d’information et la liberté d’expression, jamais une telle procédure n’avait été utilisée pour censurer préalablement un média. Selon Edwy Plenel, directeur de la publication de Mediapart : « C’est un acte sans précédent de mémoire de journaliste et de juriste. Un acte digne de l’Ancien Régime, qui contrevient à toute la jurisprudence du droit de la presse, il nous faut gagner cette bataille« , a martelé le journaliste. L’Association des avocats praticiens du droit de la presse a déclaré : « De mémoire judiciaire, jamais une telle interdiction préventive d’une publication de presse, qui constitue une mesure de censure préalable pure et simple, n’avait été prononcée par un magistrat ». Pour Reporters sans frontières (RSF), cette décision est « un contournement dangereux et flagrant de la loi du 29 juillet 1881 qui protège la liberté de la presse ». Rapporteuses est solidaire de Médiapart qui est également à l’origine de la création du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil), dont il est membre et s’associe à leur déclaration et « déplore une dangereuse atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’informer » et rappelle que le « législateur doit veiller à ce que le droit commercial ne puisse pas être utilisé pour censurer des journalistes ». Un article du Parisien nous apprend que, la sénatrice centriste Nathalie Goulet a déposé une proposition de loi pour protéger la presse. L’article déposé mardi 23 novembre vise à compléter la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en précisant qu’« une publication ne peut être interdite qu’en application d’une décision judiciaire rendue contradictoirement ».
Pourquoi il est important d’apporter un soutien sans faille à Mediapart
Edwy Plenel, le président de Mediapart, le 17 février 2016 à Paris © JOEL SAGET
Mediapart, défend un modèle où l’abonnement payant doit garantir l’indépendance des journalistes. Son slogan « seuls nos lecteurs peuvent nous acheter » garantit à ses lecteurs cette indépendance, indispensable dans une bonne démocratie. Le site se présente avec deux entrées, Le Journal, tenu par les journalistes professionnels de la rédaction, et Le Club, animé par les internautes abonnés. Bien que sa ligne éditoriale soit à gauche, il a été à l’origine d’un certain nombre de révélations qui n’ont épargné aucun parti politique de gauche comme de droite, parmi lesquelles l’affaire Woerth-Bettencourt en 2010, l’affaire Sarkozy-Kadhafi en 2012, l’affaire Cahuzac en 2012-2013 ou l’affaire Benalla en 2018-2019. Celle de Cahuzac a permis la création du Parquet national financier (PNF) qui a depuis en charge des dossiers d’une grande complexité, notamment la fraude fiscale, la corruption et les délits boursiers. Le procès capital du vendredi 25 novembre est venu rappeler le principe fondamental qu’est la liberté d’informer le public. La France se classe cette année au 26e rang mondial, selon une étude publiée mardi 3 mai, par Reporters sans frontières. L’année dernière 34e rang mondial.
Communiqué commun en soutien à Mediapart dont Rapporteuses est signataire
Nous, sociétés de journalistes, associations de défense du droit à l’information, organisations et collectifs de journalistes, médias, dénonçons avec force la décision du tribunal judiciaire de Paris de faire injonction à Mediapart de ne pas publier de nouvelles révélations sur les pratiques politiques du maire de Saint-Étienne, après celles du chantage à la sextape. Cette censure préalable, décidée sans débat contradictoire, est une grave et flagrante attaque contre la liberté de la presse.
Comment une telle décision a-t-elle pu être rendue, en dehors de toute contradiction, alors qu’il existe pourtant des procédures d’urgence, qui auraient permis à Mediapart de se défendre ?
Depuis la loi du 29 juillet 1881 qui a instauré en France le droit d’information et la liberté d’expression, jamais une telle procédure, à notre connaissance, n’avait été utilisée pour censurer préalablement un média.
Dans un contexte où un industriel a récemment détourné le droit de la presse pour poursuivre un média devant les tribunaux de commerce, où des hommes d’affaires multiplient les procédures bâillons et où de nombreux journalistes se voient refuser l’accès à des données d’intérêt public au nom du “secret des affaires”, cet acte liberticide nous inquiète profondément quant à la situation de la liberté de la presse en France.
Nous sommes solidaires de nos consœurs et confrères de Mediapart et nous nous tenons à leurs côtés.
Premières sociétés de journalistes signataires :
SDJ de Premières Lignes, SDJ d’Arrêt sur Images, SJPL de Libération, SDJ de l’Humanité, SDR de La Vie, SDJ de BFMTV, SDJ de M6, SDJ de France 2, SDJ de FranceInfo.fr, SDJ de Paris Match, SDJ de Télérama, SDJ de Public Sénat, SDJ de Marianne, SDJ de Courrier international, SDJ des Échos, SDJ de Midi Libre, SDJ de France 24, SDJ de La Tribune, SDR de l’Obs, SDJ du Figaro, SDJ de France 3 Rédaction Nationale, SDJ de L’Usine Nouvelle, SCJ de Sud Ouest, SDJ NRJ Group, SDJ de RTL, SDR du Monde, SDJ de RFI, SDJ de l’AFP, SDJ de l’Express, SDJ du Parisien / Aujourd’hui-en-France, SDJ du JDD, SDJ de Radio France, SDJ de LCI, SDJ de RMC, SDJ de M6, SDJ de Challenges, SDJ de TF1, SDJ de Franceinfo TV.
Premières associations, collectifs et organisations signataires :
Informer N’est Pas un Délit, Reporters Sans Frontières, Fédération Internationale des Journalistes, Association de la Presse Judiciaire, Profession Pigiste, SNJ, SNJ-CGT, CFDT Journalistes, F3C CFDT, SGJ-FO, We Report, Splann !, Forbidden Stories, Collectif Extra Muros, Association des journalistes économiques et financiers, SCAM, Association des Journalistes de l’Information Sociale, Prix Albert Londres, Maison des Lanceurs d’Alerte, Fonds pour la presse libre, Anticor, Europresse, Un Bout des Médias, LDH (Ligue des droits de l’Homme), APESAC.
Premiers médias signataires :
Reflets.Info, La Tribune, Médiacités, Politis, Les Jours, Regards, Blast, AOC.
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