Elie Buzyn, à Paris, en 2018 © BRUNO COUTIER / BRUNO COUTIER
Mort d’Elie Buzyn : de l’importance du devoir de mémoire
Elie Buzyn, l’un des derniers témoins de la Shoah, est décédé à l’âge de 93 ans lundi 23 mai. Militant du devoir de mémoire, sa disparition vient nous rappeler à quel point célébrer la mémoire est nécessaire.
En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Cette phrase énoncée par l’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ dans une partie de son discours prononcé en 1960 à l’UNESCO, résonne de manière douloureuse à l’annonce de la mort d’Elie Buzyn, l’un des derniers survivants de la Sohah. « Il est décédé ce matin. Il était entouré de sa famille », déclare sa fille, l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn, à l’AFP.
Le devoir de mémoire, une expression passée dans le langage courant
L’ouvrage « Le devoir de mémoire » de Primo Levi © Mille. Et. Une. Nuits
L’expression « devoir de mémoire » a commencé à se répandre dans un premier temps aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, mais particulièrement vers la fin des années 1980, quand les victimes rescapées des camps, ont libéré leur parole. Il a fallu du temps pour que la honte et la culpabilité fasse son chemin comme dans le parcours de toutes les victimes. Le devoir de mémoire est aussi le titre français donné en 1995 à un ouvrage posthume de Primo Levi, survivant des camps de la mort, reprenant un entretien accordé en 1983 à deux historiens italiens Anna Bravo et Federico Cereja. L’utilisation de l’expression « devoir de mémoire » s’est malheureusement banalisée dans les médias, et dans la bouche des hommes politiques, à tel point que certains en sont venus à le confondre avec repentance ou flagellation. Le mot « mémoire » associé à celui de « devoir », suggérant pour ces personnes une idée d’obligation. Pour elles, quand la France se remémore les événements tragiques de son passé, que ce soit la Shoah ou l’esclavage, cela reviendrait à faire preuve de repentance. Bizarrement ces personnes classées très à droite, voire à l’extrême droite de l’échiquier politique, n’emploient pas les mêmes arguments quand il s’agit de commémorer la Première guerre mondiale et la mémoire des Poilus.
Le devoir de mémoire signifie l’obligation pour une Nation de se souvenir de certains événements tragiques, que ce soit des guerres, des génocides, ou plus récemment comme nous l’avons connu en France, les attentats de Charlie Hebdo, les tueries de mars 2012 à Toulouse et Montauban où trois militaires dont deux de confession musulmane et quatre civils avaient péri parmi lesquels les enfants de l’école juive Ozar Hatorah, le 11 novembre 2015, les attentats de Nice, ou encore l’assassinat de Samuel Paty. Il importe de garder vivace ces souvenirs pour en tirer les leçons, et de garder à l’esprit les paroles d’Elie Wiesel : « Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli. » La mort d’Elie Buzyn doit nous interpeller à plus d’un titre car les témoignages, écrits ou oraux, prennent d’autant plus de valeur que les témoins directs sont de plus en plus rares, et Elie Buzyn était un de ceux-là.
Les derniers passeurs de mémoire
Ginette Kolinka © L’EST REPUBLICAIN/MAXPPP
La mort d’Elie Busyn survient quelques jours seulement après celle de Régina Zylberberg, plus connue sous le nom de Régine reine des nuits parisiennes, qui déclarait dans une interview à Paris Match que « séparé de son frère pendant la guerre, elle avait rejoint un refuge pour vieillards à Lyon, et s’était mariée plus tard à Claude, qui mourra déporté ». Elie Busyn rapporte l’AFP « était natif de Pologne, rescapé du camp d’Auschwitz (Pologne) avait été arrêté en août 1944 dans le ghetto juif de Lodz, où sa famille était parquée. Il s’était installé en France en 1956, et s’était longtemps tu après la Seconde Guerre mondiale, comme de nombreux autres survivants. Il n’a eu de cesse de s’employer à transmettre la mémoire de la Shoah, en racontant son récit lors de conférences, ou en accompagnant plusieurs de ses petits-enfants ainsi que des groupes scolaires au camp d’Auschwitz-Birkenau ». Sur Twitter, Francis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives (Crif), a rendu hommage à un « immense témoin de la Shoah et infatigable combattant de la mémoire ». « Jusqu’au bout, il a porté la parole des victimes de la barbarie nazie. Sa mémoire nous oblige. »
L’une des dernières survivante Ginette Kolinka, 97 ans, mère de Richard Kolinka batteur du groupe Téléphone, survivante du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, était en conférence lundi 14 mars 2022, devant les classes de 3ème du collège François Raspail de Carpentras qui ont eu la chance de rencontrer cette grande dame. Quelques jours plus tard c’est à Montpellier qu’on la retrouvait lundi 28 mars pour une autre conférence avec des collégiens de 3ème et le public montpelliérain. Infatigable elle aussi, avec la mémoire qu’il lui reste, elle raconte encore et encore, son histoire qu’elle fait partager à tous les collégiens à travers la France. Mère d’un artiste reconnu dont elle collectionne les disques d’or, elle sait que l’art joue aussi un rôle fédérateur dans la transmission de la mémoire que ce soit à travers la peinture, la musique, la sculpture. En parlant de sculpture, le 10 mai 2022, à l’occasion de la journée nationale de commémoration des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition, la ville de Paris a inauguré la statue de la mulâtresse Solitude, une héroïne symbole de la lutte contre l’esclavage, dans le jardin du 17ème arrondissement qui porte déjà son nom depuis 2020. A noter que c’est la première statue d’une femme noire à Paris. Quand toutes les mémoires sont respectées, on mesure la chance de vivre dans un pays pacifié. La mémoire est capitale, elle donne du sens aux valeurs de la République et donne l’espoir que l’Histoire ne se répète pas. Winston Churchill a eu ces paroles sages : « un peuple qui ne connaît pas son passé se condamne à le revivre ».
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