Zar Amir Ebrahimi avec sa Palme d’or © LP/ red Dugit
Festival de Cannes : l’Iran dénonce la Palme d’or remise à Zar Amir Ebrahimi pour Les Nuits de Mashhad
L’Iran dénonce dans un communiqué l’éloge « biaisé et politique » fait par le Festival de Cannes à l’iranienne Zar (Zahra) Amir Ebrahimi, tout juste couronnée de la Palme d’or de la meilleure actrice, pour son interprétation dans Les Nuits de Mashhad, réalisé par Ali Abbasi.
Dans le thriller Les Nuits de Mashhad, Ali Abbasi raconte l’histoire de Saeed Hanaei, un Jack l’éventreur version iranienne, auteur d’une série de féminicides qui a bousculé l’opinion publique. L’homme avait décidé de nettoyer les rues de la ville sainte chiite Mashhad, au nord-est de l’Iran, en assassinant des prostituées. Le pire c’est que certains lui ont donné raison, et n’ont pas vu l’assassinat de ces femmes d’un mauvais œil, bien au contraire. Le tueur, Saeed Hanaei maçon de son état, était surnommé l’Araignée par la presse iranienne, et selon lui n’avait fait qu’appliquer la charia.
La prostitution en Iran est illégale, mais certaines n’ont pas le choix
Affiche « Les Nuits de Mashhad » d’Ali Abbasi © METROPOLITAN FILMEXPORT
« Les Nuits de Mashhad parle des femmes, de leur corps, c’est un film rempli de haine, de mains, de pieds, de seins, de sexe, tout ce que l’on ne peut montrer en Iran. Merci Ali Abbasi d‘avoir été si fou et si généreux. Merci de cette réalisation, de cet art si puissant ». C’est avec ses mots de remerciement que l’actrice Zar (Zahra) Amir Ebrahimi a salué le courage du jury qui lui a remis le prix d’interprétation féminine. En mettant des mots crus dans son discours, l’actrice a voulu dénoncer le silence de la société iranienne sur la prostitution et le patriarcat étouffant qui empêche les femmes de s’émanciper. La ville de Mashhad où se déroule l’action du film, n’est pas une cité anodine. Deuxième ville du pays, c’est aussi l’une des plus sacrées. Elle accueille le mausolée d’Ali-Ibn-Musa Reza, huitième imam des chiites, empoisonné en 818. Lieu de pèlerinage, la ville connait aussi la misère et la drogue, surtout en raison de sa proximité avec l’Afghanistan. Dans le pays des Ayatollahs, le plus vieux métier du monde, est illégal et les sanctions, peuvent aller des amendes à des peines d’emprisonnement voire l’exécution pour les récidivistes. Pourtant les prostituées sont visibles dans certains coins de rues des grandes villes. Nombre d’entre elles n’ont pas le choix, et se prostituent pour vivre. Un récent reportage de la BBC Afrique avait suivi l’une d’entre elles, Neda qui déclarait : « J’ai honte de ce que je fais, mais quel choix ai-je ? » La jeune femme divorcée expliquait travailler le jour comme coiffeuse, mais la nuit, avait un deuxième emploi comme prostituée, se sentant obligée de vendre son corps pour du sexe juste pour joindre les deux bouts et élever son fils.
Un pays où les femmes ne sont pas respectées
Zar Amir Ebrahimi, dans « Les Nuits de Mashhad », d’Ali Abbasi © METRO FILMS – BOSSA NOVA
Née en 1981 à Téhéran, Zar Amir Ebrahimi en sait quelque chose. Actrice connue dans son pays, elle enchaîne les rôles comme comédienne et s’illustre dans les films de réalisateurs iraniens comme Mohammad Nourizad, Mojtaba Raie, Abolfazl Jalili et Abbas Kiarostami, et aussi sur les planches. Elle accède à la notoriété grâce aux séries Komakam Kon et Nargess. Sa trajectoire sera stoppée nette à cause d’un scandale de sextape, où elle se trouve mise en cause par son ancien fiancé avec qui elle avait rompu. Ostracisée et menacée de coup de fouet, Zar Amir Ebrahimi fui l’Iran en 2008 et se réfugie en France, où elle continue à exercer son métier. Dans son discours elle fera un clin d’œil à l’actrice Golshifteh Farahni qui elle aussi déclarait à Télérama en 2009, qu’elle avait dû fuir l’Iran après avoir joué avec Léonardo Di Caprio dans Secret d’Etat en 2008. Ses paroles, à la réception de son prix ont encore plus de résonnance : « Ce soir, j’ai le sentiment d’avoir eu un parcours très long avant d’arriver ici sur cette scène. C’est une belle histoire, mais qui a comporté des humiliations malgré mon amour pour le cinéma. Cela a représenté énormément de solitude mais heureusement il y avait les films. Il y avait de l’obscurité mais le cinéma était là pour y échapper. Et maintenant, je me retrouve devant vous. Vive le cinéma. Cela a sauvé ma vie et il en sauvera d’autres ».
L’hypocrisie d’une société rigoriste
Zar Amir Ebrahimi dans « Les Nuits de Mashhad » d’Ali Abbasi © METROPOLITAN FILMEXPORT
Selon le reportage de la BBC, en 2012, l’Iran a annoncé un programme national pour lutter contre la prostitution. Cependant, selon des rapports non officiels d’organisations non gouvernementales (ONG) et de chercheurs, le nombre de personnes travaillant dans l’industrie du sexe n’a fait qu’augmenter. Dans son scénario Ali Abbasi rend compte de la part sombre du traitement des femmes dans la société iranienne, et plus particulièrement celui des prostituées pour lequel Saeed Hanaei le serial killer était surnommé l’Araignée par la presse iranienne. Ce vétéran de guerre s’était senti inspiré d’une mission divine en « nettoyant la ville du péché ». On comprend mieux pourquoi Zar Amir Ebrahimi en recevant le prix d’interprétation féminine, dérange une partie de la société iranienne. En effet l’Organisation cinématographique de l’Iran, affiliée au ministère de la Culture, vivement critiqué le Festival pour avoir « commis un acte biaisé et politique en faisant éloge d’un film faux et dégoûtant », selon un communiqué officiel. Le Jury de Cannes a tranché dont un des membres était le réalisateur iranien Asghar Farhadi, qui a reçu l’année dernière le Grand Prix au Festival de Cannes pour Un héros.
Les Nuits de Mashhad dans les salles françaises le 13 juillet 2022.
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