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Langue vivante : cunnilingus et carpe diem

D’après une enquête sur la sexualité, 85 % des hommes et des femmes ont eu une fois  l’expérience du cunnilingus. Un petit cours s’impose en français truffé de mots latins entrés tels quels en langue française, en cette Semaine de la langue française et de la francophonie.

Le cunnilingus, c’est d’abord l’histoire d’un mot qui aurait dû s’écrire autrement. Le terme exact est en effet « cunnilinctus ». Il est latin et possède 4 syllabes. Si son histoire a commencé par une faute de langue, elle n’aurait pas pu voir le jour sans cet organe de la cavité buccale. Sa pratique est bien la preuve vivante que le latin n’est pas une langue morte !

Des océans de cyprine et des siècles de progrès

« Super Cyprine, le roman graphique » © Ulule

Le cunnilingus est la preuve vivante que le latin n’est pas une langue morte. Entre le barbon bouffi d’a priori qui raconte que son pater lui a recommandé de ne pas « nicher » (sic) les femmes et le petit jeune qui veut te manger la foufoune, des océans de cyprine et des siècles de progrès, pourtant ils sont contemporains. L’un bredouille entre ses vieilles dents contre la gent féminine « Vade retro, Satanas ! » comme si le sexe de la femme était « la porte du diable » – dixit Saint Augustin, mais par quelle aberration toute vie humaine devrait-elle passer par un diabolique endroit ? L’autre en a l’eau à la bouche, il n’aspire qu’à ça. Cependant il ne faut pas aspirer trop fort.

Ne pas transformer des plaisirs en déplaisir !

« Le rêve de la femme du pêcheur » © Katsushika  Hokusai

Quoique l’imaginaire ait tendance à créer une analogie avec les huîtres et les moules, il n’est pas de bon ton de slurper trop goulûment grosso modo à l’instar d’un Quasimodo affamé, « quasi modo geniti infantes », « comme des enfants nouveau-nés ». (Ces mots sont l’incipit, alias les premiers mots de l’introït de la messe du premier dimanche après Pâques.) Téter la coucoune comme un nourrisson mort de faim, cela peut être désagréable, voire douloureux pour la dame. Ne pas transformer des plaisirs en déplaisir ! A fortiori, ne pas forcer sur la succion, ne pas sucer trop violemment, ni les lèvres ni le clitoris, les effleurer de façon subtile, suçoter, tantôt fougueusement, tantôt langoureusement. Tout un art, le cunnilingus ! Ce n’est pas panem et circenses, il ne faut pas que ce soit la dévoration et le cirque.

Cela pourrait constituer un véritable casus belli

« Le Baiser » © Picasso

Il faut savoir faire le distinguo entre gamahuchage, délicate dégustation et cannibalisme. Sinon, la belle risque d’apposer son veto, de prononcer un exeat carabiné, et exit tout plaisir. Le rendez-vous suivant risque d’être reporté sine die, voire rayé de son agenda. En cas de cunnilingus fait par-dessus la jambe, elle risque même de te supprimer de son mémento et d’appuyer sur la touche delete dans ses Contacts. Pour certaines, friandes de cunnilingus réussis, cela pourrait constituer un véritable casus belli et déclencher de rédhibitoires hostilités. A contrario, un voluptueux cunnilingus peut se muer en vademecum (littéralement : « viens avec moi »), de facto une incitation à faire un bout de chemin ensemble. Ou pas, selon leurs desseins, suivant le dessin, pour l’une et l’autre, du curriculum vitae, l’aléatoire cours de leurs vies respectives.

A moins d’être au minimum goudou pratiquante, difficile de connaître parfaitement le modus operandi

« Amour 2 Femmes » © Grégoire Koboyan

Nota bene : contrairement à ce que croient bon nombre de béotiens, ce qu’on appelle les préliminaires ne sont pas que des préliminaires, c’est quasiment l’essentiel. C’est là que réside le plaisir. Toutefois, à moins d’être au minimum goudou pratiquante, difficile de connaître parfaitement le modus operandi. Tout est dans l’improvisation, il suffit d’être inspiré. Ne pas trop craindre les critiques. Critica facilis, sed ars difficilis est. La critique est aisée, mais l’art est difficile. Néanmoins, à vue de nez, nul besoin d’explorer in extenso le corps de la belle pour offrir de parfaits préliminaires.

Le cunnilingus c’est tout de suite !

Contexte érotique et violent ©Toshio Saeki

En tous cas, une forme de vice versa n’est pas du vice, ce n’est pas du luxe ni de la luxure. CARPE DIEM ! Anba latè pa ni chouval bwa : sous terre, pas de manège, pas de plaisir post mortem. Les heures passent, vulnerant omnes, ultima necat, toutes blessent, la dernière tue. On dit bien d’une personne décédée « RIP, requiescat in pace », « Qu’elle repose en paix », et non pas « Qu’elle ait des orgasmes ad vitam aeternam » ! Mieux vaut suivre le précepte énoncé dans les Odes d’Horace : « Cueille le jour, et ne crois pas au lendemain » ! Le cunnilingus c’est tout de suite. Profite de l’instant présent ! Vive la philosophie épicurienne, épi kouri, vive l’hédonisme ! Alea jacta est, le dé est jeté, advienne que pourra. Il ne s’agit pas de passer le Rubicon, mais… le con (du latin cunnus qui signifie « gaine », « fourreau » et, par extension, le sexe féminin).

Peu importe de finir ex æquo

« Adam et Eve au Paradis » © Michel-Ange

In extremis, quand on croit que c’est gagné, cave canem ! Gare à la bête qui sommeille… Ce n’est pas une rixe cunnilingus versus coït, c’est l’un après l’autre, en douceur et profondeur. Aucune stratégie ad hominem à redouter, aucune attaque ad personam, tout étant fait pro bono, pour le bien commun, gracieusement, gratis, prodigué en toute bienveillance et générosité mutuelle. En pleins ébats, même s’ils peuvent se révéler acrobatiques, hic et nunc, ici et maintenant, la philosophie érotique n’est ni une course, ni une compétition, ni un match. Peu importe de finir ex æquo. Au contraire, c’est jubilatoire. A contrario, si à l’inverse l’un des deux fait cavalier seul, cela risque d’envoyer toute jouissance ad patres. Avant de conclure, mieux vaut vérifier ex-ante que l’autre n’est pas à la traîne afin de pallier tout quiproquo. Ne pas prendre un qui pour un quoi. Puisque l’on ne peut pas parler la bouche pleine, être à l’écoute afin d’éviter tout malentendu. L’orgasme ne vient pas illico.

On a le droit de recommencer ad libitum

« Esquisse Au Bordel » © Pablo Picasso

De jure, dans le code amoureux, on a droit à des addenda et corrigenda en revenant ab initio, s’il y a eu un erratum par-ci par-là en cours de route, in medias res. Au mitan de ces glissements de langue on a droit à des lapsus et toutes sortes d’erreurs involontaires. On a le droit de recommencer ad libitum. L’amor fati, l’amour de la destinée, permet une forme de déculpabilisation de l’homme : nul n’est responsable d’être comme ceci ou cela. Et l’on peut toujours espérer qu’il ne soit pas fait appel a minima pour augmenter la peine. L’habeas corpus n’est pas qu’une formule juridique ; il faut que tu aies bien le sentiment d’avoir un corps, de sentir ton corps, de combler ton corps ; alors combler celui de quelqu’une ira de soi, ipso facto.

Honorer « l’origine du monde » en tout bien tout honneur

« L’Origine du Monde » © Gustave Courbet

Sitôt qu’ont joué leur rôle les excitantes phéromones validant ad hoc, alias sexuellement compatible, l’élue, grâce à la salive du « french kiss » alias « baiser florentin », naguère, – car le baiser avec la langue n’est pas que « mélanger crachats » mais idéalement érogène –, au contact des peaux, à la tolérance des sueurs et cetera – lesdites phéromones n’étant pas odorantes à proprement parler, mais bel et bien perceptibles, aptes à capter les messagers chimiques qui suscitent l’attraction sexuelle, par un processus inconscient –, en humant avec délectation les senteurs sui generis, il est bon d’aller estimer de visu le corpus delicti. Honorer « l’origine du monde » en tout bien tout honneur et tout bonheur pour la dame. Fiat lux ! Qu’un esprit sain débarrassé de l’obscurantisme s’adonne au cunnilingus ! Bien réfléchir, à coups de cogito ergo sum, se dire « je pense donc je suis », bien se concentrer, être cartésien, mais pas trop, entrer dans la logique de l’autre, sans cesser d’être fantasque, sans frustrer les fantasmes.

En créole, « niché », c’est lécher

« A little Taste Outside of Love » 2007 © Mickalene Thomas

In cauda venenum (dans la queue, le venin) : à l’instar du mot « fellation », son quasi correspondant pour les hommes, le mot cunnilingus n’est pas de toute beauté. À croire que la pudibonderie l’a fait exprès, de les créer aussi laids, pour que l’on n’ose pas les employer et que ça vous en ôte toute envie, rien que de penser à leur mocheté. À côté, les créoles synonymes « papalam » et « sous » (à prononcer « souss ») sont tout de même plus affriolants. Cunnilingus, c’est du latin entré tel quel en langue française, comme la langue entre pour nicher la languette. En créole, « niché », c’est lécher. A mari usque ad mare est la devise du Canada, mais, d’un océan à l’autre, d’une langue à l’autre, eh oui, le cunnilingus est la preuve vivante que le latin n’est pas une langue morte !

De quoi vous faire débander le plus hardi des clitoris

« L’Odalisque » © François Boucher

Idem pour « penis », en latin « queue des quadrupèdes », et l’obsolète « vit », « vulve », « vagin » et le mot « con » au tragique destin misogyne. Comment donner des noms pareils aux sources de plaisir ? De quoi vous faire débander le plus hardi des clitoris, avec son étymologie grecque, de κλειτορίς (kleïtoris), la petite clef, la petite clef du plaisir. « Foufoune », « coucoune » caracolent, transatlantiques, « bonda » (le derrière) trône en tête et commence à se balader, grâce aux chansons où l’on le secoue dans le zouk, tandis que « coco », « cal », « fer » sont en passe de s’introduire dans l’hexagone.

On peut toujours faire son mea culpa

« Le Péché Originel » © Michel-Ange

Les data de l’expérience impliquent, a posteriori, qu’honorer le postérieur et l’anus exige beaucoup de doigté, pour parvenir à la suprême volupté. Une femme qui lit est potentiellement une femme qui jouit : c’est en lisant, sous la plume coquine de George Sand, à quel point « l’anneau céleste » titillé permet d’atteindre le summum de l’extase, que l’on peut découvrir cette qualité de plaisir. Une véritable révélation. Si l’on a raté les préliminaires et loupé le coït, on peut toujours faire son mea culpa grâce à « l’anneau céleste » sandien. En somme, ce genre de relation intuitu personæ varie selon la personne et exige une infinie souplesse, une excellente faculté d’adaptation. Ne pas s’en tenir au statu quo, sinon la situation est bloquée, et la femme aussi. Quelles que soient les affinités, l’autre n’est pas nécessairement un alter ego.

Post-scriptum : in fine, bien gérer au maximum le cunnilingus est la condition sine qua non et même le nec plus ultra pour garantir, dans le couple, le summum de l’harmonie et le meilleur modus vivendi.

 Étymologiquement vôtre

Suzanne DRACIUS

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