Tirailleurs de Mathieu Vadepied avec Omar Sy © Gaumont
Tirailleurs : la polémique autour d’Omar Sy, un révélateur du climat qui sévit en France
En salle depuis le 4 janvier, Tirailleurs de Mathieu Vadepied, avec Omar Sy, retrace le parcours d’un père et d’un fils envoyés sur le front, qui affrontent la guerre ensemble. Mais c’est un véritable front de haine auquel l’acteur est confronté en guise de promotion, certains appelant au boycott du film.
Dans une interview accordée le 1er janvier au Parisien, Omar Sy a tenu à rappeler toute l’horreur de la guerre…, de toutes les guerres. Un discours humaniste mal compris, notamment en raison de ses propos sur l’Ukraine. Et c’est la députée européenne Nathalie Loiseau, qui tout en n’ayant pas vu le film, met le feu aux poudres, en déclarant que l’acteur « dit des choses justes et d’autres injustes » en faisant allusion aux soldats français morts en Afrique. Dès le lendemain, le Parisien a essayé de rectifier le tir, mais rien n’y a fait, la polémique est lancée, animée par l’extrême droite, une partie de la droite, et même de la majorité. Sur les réseaux sociaux, Omar Sy est un ingrat installé aux Etats-Unis, qui ne paie pas ses impôts dans l’Hexagone, et qui cherche à faire culpabiliser la France, qui lui a tout donné.
Une première au cinéma
Omar Sy dans « Tirailleurs » © MARIE-CLÉMENCE DAVID
L’histoire de Bakary Diallo interprété par Omar Sy qui s’enrôle dans l’armée française pour rejoindre Thierno son fils de 17 ans, qui a été recruté de force, est comme celle de milliers de Tirailleurs, oubliée des manuels scolaires en particulier, et de l’Histoire de France en général. Pourtant Bakary et Thierno ne sont pas, loin de là, les premiers africains à rejoindre l’armée française sous l’uniforme des tirailleurs sénégalais. Institué par un décret de Napoléon III en 1857, ce corps spécifique a d’abord vocation à participer à la conquête coloniale. L’expédition menée par le commandant Jean-Baptiste Marchand, entre 1896 et 1898, a transformé en héros les 150 tirailleurs recrutés pour relier l’AOF à Djibouti. [NDLR l’Afrique-Occidentale française (AOF) gouvernement général regroupant huit colonies françaises d’Afrique de l’Ouest entre 1895 et 1958]. Et pour cause, il y a en Afrique un gisement d’hommes capables de constituer une « force noire » non seulement pour achever et consolider l’empire colonial français, mais aussi pour défendre le territoire métropolitain. Recrutés en 1917 en même temps que 12 000 autres tirailleurs dans le cadre de la troisième vague de levée de soldats depuis 1914, Bakary, son fils Thierno mais aussi le jeune Adama n’ont rien d’engagés volontaires. Le réalisateur Mathieu Vadepied met en scène une des formes de résistance provoquées par la mobilisation, la fuite devant les recruteurs. Cette résistance longtemps mal connue, dissimulée par la propagande politique et militaire, n’a été que récemment mise en lumière par le travail des historiens Pascal Blanchard, Marc Michel, Anthony Guyon, Jean-Loup Salètes, et au cinéma, c’est une première. « Je pense que le cinéma peut être une forme d’expression populaire dans un sens noble, qu’il peut et qu’il doit avoir cette ambition et cette dimension à la fois poétique et politique. Nous avons voulu absolument que le film puisse être regardé par le public le plus large possible : les enfants comme les anciens ; ceux qui sont concernés par le récit comme ceux qui pensent n’avoir rien à voir avec l’histoire… » explique Mathieu Vadepied.
La France tu l’aimes ou tu la quittes
Tirailleurs sénégalais à l’instruction dans un camp d’entraînement dans les colonies françaises en Afrique, en décembre 1939 © DR
En France, les Noirs et les Arabes quand ils sont invités sur les plateaux de télévision, sont sommés de ne jamais la critiquer, de même que la police, même en ayant les arguments les plus irréfutables en tant qu’historiens, sociologues, artistes, ou simples citoyens. « La France tu l’aimes ou tu la quittes » dixit un ancien président de la République, et pour devenir français, il faut le mériter. Un mérite que l’on n’exige pas des autres français, même récemment naturalisés et dont les ancêtres ne se sont pas battus pour elle. Dans une lettre ouverte aux maires de France et d’Outre-mer l’association pour la mémoire des tirailleurs sénégalais AMTS, rappelle qu’en en 1914-1918, pas moins de 200 000 « Sénégalais » de l’Afrique-Occidentale française (A.O.F. : Mauritanie, Sénégal, Soudan français [devenu le Mali], Guinée, Côte d’Ivoire, Niger, Haute-Volta [devenue le Burkina Faso], le Togo et le Dahomey [devenu le Bénin]) se sont battus sous l’étendard français, dont plus de 135 000 rien qu’en Europe. Environ 15 % d’entre eux, soit 30 000 soldats, y trouveront la mort sur un total de 1 397 800 soldats français morts durant ce seul conflit soit plus de 2 % des pertes totales de l’armée française. Il faut y ajouter tous les soldats venus du reste de l’Outre-mer (Antilles, Guyane, Réunion, Madagascar…) qui combattirent dans les tranchées ou aux Dardanelles. Beaucoup sont revenus blessés ou invalides. Depuis la polémique déclenchée autour d’Omar Sy, des internautes dont la plupart n’ont comme Nathalie Loiseau pas vu le film, accusent l’acteur de se victimiser. Pourtant le film est nuancé, sobre et sans manichéisme, et ne cherche pas à présenter de héros ni de victimes, mais des personnages extrêmement complexes. On y voit même des tirailleurs sénégalais qui en rackettent d’autres. Plus qu’une histoire de guerre, c’est l’amour inconditionnel d’un père pour son fils, qui va tout faire pour l’arracher aux combats, et le ramener sain et sauf, alors que le celui-ci, galvanisé par la fougue de son officier qui veut le conduire au cœur de la bataille, tente de s’affranchir de son paternel, et apprendre à devenir un homme. C’est malheureusement à côté de cette histoire magnifique, que passent beaucoup de polémistes, et l’acteur Omar Sy, englué dans cette polémique inutile, essaie tant bien que mal de défendre un film commencé depuis plusieurs années avec le réalisateur Mathieu Vadepied rencontré sur le tournage du film Intouchable. « Je refuse de me justifier car je ne dois rien à personne, je suis français » a répondu le comédien à ses nombreux détracteurs sur le plateau de l’émission Quotidien, et remercié quelques jours plus tard, les 55 000 spectateurs qui ont vu Tirailleurs le 1er jour : « Vous êtes ma force et ma France« .
Tirailleurs réalisé par Mathieu Vadepied avec Omar Sy, Alassane Diong. Durée : 1 h 49 min.
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1 réflexion sur “Tirailleurs : la polémique autour d’Omar Sy, un révélateur du climat qui sévit en France”
J’ai préféré ce film à « Indigènes » qui sonnait faux ou trop anti français.