Le révérand Martin Luther King devant le Lincoln Memorial le 28 août 1963 © DR
Etats-Unis : l’Amérique égalitaire de Martin Luther King reste toujours un rêve
Le 28 août 1963, Martin Luther King clamait devant le Lincoln Memorial son célèbre discours I have a dream, durant la Marche sur Washington, avant d’être assassiné quelques années plus tard le 4 avril 1968, à Memphis. Soixante ans après, l’Amérique égalitaire reste toujours un rêve.
Le rêve américain ou l’American Dream, est l’idée selon laquelle n’importe quelle personne vivant aux États-Unis, par son labeur, son courage et sa détermination, peut devenir riche. Celui de Martin Luther King était que les Noirs aient les mêmes droits que les Blancs. Presque que soixante ans plus tard, malgré l’élection de Barack Obama, premier président noir et l’élection de Joe Biden avec une femme noire comme vice-présidente, beaucoup de choses restent à faire en matière d’égalité. Si en surface le progrès semble énorme depuis 1963, les émeutes raciales et les violences policières à l’encontre des Afro-américains n’ont pas disparu pour autant. L’assassinat de George Floyd filmé en direct à Minneapolis le 25 mai 2020, étant l’un des révélateurs que le sentiment de racisme rampant persiste encore aux Etats-Unis.
Des champs de coton à la Maison Blanche
Kamala Harris et Barack Obama en 2012 © Eric Risberg
Dans son ouvrage Les Noirs américains la politologue Nicole Bacharan a retracé l’histoire des Afro-américains du premier navire qui a débarqué au XVIIe siècle jusqu’à l’élection de Barack Obama. Des esclaves noirs arrivés au Nouveau Monde réduits à l’état de sous-hommes, qui après quatre siècles d’asservissement, de ségrégation, de violences, de souffrances de combats, ont pu conquérir le statut d’être humain et imposer leurs droits. Douze ans après l’élection de Barack Obama en tant que premier président noir des États-Unis, une femme noire a prêté serment en tant que vice-présidente des États-Unis après l’élection de Joe Biden. Kamala Harris, d’origine jamaïcaine et indienne, est la première personne noire américaine , première d’origine asiatique, et première femme à occuper la deuxième plus haute fonction du pays. Son élection a représenté une autre avancée dans les progrès lents mais constants que les Noirs américains ont réalisés au cours des dernières décennies pour prendre davantage pied dans le leadership politique, en particulier à la Chambre des représentants des États-Unis et dans les cabinets des récents présidents. Mais ils ont pris du retard au Sénat et dans les gouvernorats. Le nombre d’élus noirs particulièrement augmenté, passant de 1 000 élus noirs en 1970 à 12 000 en 2013. Selon le New York Time bien qu’en 2020 le nombre d’élus noirs à la Chambre des représentants était caractéristique de la population afro-américaine, les employés et les collaborateurs parlementaires noirs dans une lettre rendue publique le 15 octobre 2021 déploraient cette non représentativité dans leur fonction.
L’adoption de politiques discriminatoires
La Cour suprême, plus haute autorité judiciaire des Etats-Unis © JACQUELYN MARTIN
Dans une société post-raciste comme celle des Etats-Unis, les décisions politiques adoptées ces dernières années voire ces derniers mois, ont eu des conséquences discriminatoires sans précédent à commencer par l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade. Cette décision historique rendue par la Cour suprême des Etats-Unis en 1973, soit dix ans après le discours de Martin Luther King, sur la légalisation de l’avortement, était une libération pour les femmes, en particulier celles issues des minorités. A cela il faut ajouter que les Noirs ont aussi payé un lourd tribut à l’épidémie de coronavirus et comptent parmi les premières victimes de la crise économique. En 2003 selon Le Monde reprenant un rapport sur les inégalités face à la santé appelé Unequal Treatment, les Américains issus de minorités, recevaient déjà des soins de moins bonne qualité que le reste de la population. Elaboré sous l’égide du chercheur Brian Smedley de l’Institut national de médecine, ce dernier avait été le premier à incriminer le racisme structurel dans les disparités de traitement, au-delà de la pauvreté ou du manque d’accès à l’assurance-maladie. Le chercheur déplorait vingt ans plus tard, le manque de progrès significatif, attestant que les Noirs continuaient de mourir cinq ans plus tôt en moyenne que les Blancs, ajoutant que la pandémie avait touché principalement les minorités. « Ce que nous continuons largement à voir, argumente Brian Smedley, c’est une sorte d’apartheid médical. » A cela il faut ajouter que plusieurs Etats ont refusé de financer l’extension de l’Obamacare, cette réforme du système de santé porté par Barack Obama pour les plus pauvres, et qui concerne 70 % de Noirs. En dehors du système de santé inégalitaire ce sont les crises économiques successives qui démontrent encore cet apartheid social. Les Blancs, continuent de vivre dans de meilleurs quartiers, avec de bonnes écoles, et leurs maisons gardent de la valeur, un patrimoine qu’ils peuvent transmettre à leurs enfants, tandis que les Noirs, qui n’ont eu qu’une génération depuis la fin de la ségrégation pour s’installer dans d’autres quartiers, n’ont rien à léguer à leur descendance.
L’avènement de Black Lives Matter
Manifestation à Tampa (Floride) le 11 juillet 2016 © LOREN ELLIOTT
En 2012 le meurtre de Trayvon Martin, un lycéen noir de 17 ans abattu le 23 mars 2012 par George Zimmerman, un vigil qui l’avait pris pour un rodeur parce qu’il portait une capuche, avait secoué l’Amérique tout entière. L’acquittement du vigil un an plus tard avait été un tournant. Patrisse Cullors, Opal Tometi et Alicia Garza, trois femmes noires, utilisent pour la première fois l’expression Black Lives Matter (La vie des Noirs compte) pour signifier leur colère suite a cet acquittement en postant un message sur Facebook. Largement repris dans les manifestations liées à de nombreuses de violences policières où des Noirs ont perdu la vie comme Eric Garner Jonathan Ferrel, John Crawford, Ezell Ford, Walter Scott, Freddie Gray ou Sandra Bland, le slogan et le hashtag #BlackLivesMatter prennent une résonance particulière en mai 2020, à la mort de George Floyd, Afro-américain mort asphyxié par un policier blanc à Minneapolis. Certes, il n’existe plus de lois qui excluent ou discriminent explicitement les Noirs, mais dans les faits, les stigmates des quatre cents ans d’esclavage, demeurent avec pour preuve un judiciaire impitoyable envers les Noirs. En 2016 un rapport de la U.S Sentencing Commission (agence indépendante de la branche judiciaire américaine), qui a passé au crible les peines de prisons prononcées à l’échelle fédérale entre le 1er octobre 2011 et le 30 septembre 2016, expliquait qu’à crime équivalent, les Noirs étaient condamnées à des peines de prison presque 20% plus lourdes que les Blancs.
Le rêve de Martin Luther King, est encore loin de se réaliser complètement et la société post-raciale espérée avec l’arrivée de Barack Obama, est une douce chimère, malgré les apparences.
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1 réflexion sur “Etats-Unis : l’Amérique égalitaire de Martin Luther King reste toujours un rêve”
il faut continuer d’avancer, être conscient des progrès réalisés, afin que le temps permette de traduire les rêves en réalité!